Pour optimiser l’irrigation et la fertilisation des vergers, il est essentiel de raisonner les apports en éléments nutritifs et en eau en fonction des caractéristiques du terrain.
Il faut avant tout connaître son sol !
Un article paru dans le Hors-Série n°32 du mois de Mai 2020 de L’Arboriculture Fruitière
Un article écrit par Karim Riman, Patrice Guinet et Nathalie Broussard
Le premier élément qui influe sur l’irrigation et la fertilisation est le sol. Il faut ainsi connaître sa profondeur explorable, sa texture et sa structure, le taux de matières organiques (niveau d’humus), ou encore son système racinaire.
Ce qu’il faut connaître de son sol
• Profondeur
C’est un élément essentiel pour connaître la capacité de rétention en eau et en éléments minéraux du sol. Cette profondeur est très variable dans les sols arboricoles du sud-est de la France, selon leur géologie et pédogénèse. Dans des sols d’alluvions du Rhône, de la Durance, elle peut atteindre 150 cm et dans des sols de la Crau (région d’Arles) ne pas dépasser 20 cm de profondeur. Cette première observation déterminera l’exploration potentielle de l’enracinement.
• Texture
La pierrosité (pourcentage de la fraction supérieure à 2 mm de diamètre), les taux d’argiles, de limons et de sables, permettront de calculer la réserve utile en eau du sol. Un pourcentage de cailloux élevé limitera cette réserve hydrique. Un sol sableux aura une faible rétention en eau et en certains éléments fertilisants (potassium par exemple), et présentera des risques de drainage élevé et de lixiviation des nitrates. Un sol limoneux avec peu d’argiles pourra induire des croûtes de battance rendant difficile le cheminement de l’eau. Un sol à fort pourcentage d’argiles vraies, facilitera la rétention de l’eau, l’adsorption des éléments minéraux et la liaison avec les matières organiques humufiées.
• Structure
L’agencement des éléments texturaux (agrégats) déter- mine la porosité du sol c’est à dire les « vides » ou pores dans lesquels l’eau et les gaz circulent. La présence de semelles liées au travail du sol (labour, herse rotative), de zones compactées (pas- sages répétés des roues de tracteur), d’encroûtements calcaires (par exemple) sont souvent la source de problèmes agronomiques.
• Système racinaire
La présence importante ou non de racines, leur développement en profondeur, leur blocage dans des horizons compactés ou par une dalle rocheuse infranchissable sont des observations essentielles pour la conduite de l’irrigation et de la fertilisation.
Le nombre de racines, leur diamètre, leur répartition, leur allure, la profondeur de leur présence, expliqueront fréquemment pourquoi un arbre fonctionne bien ou au contraire pourquoi sa vigueur et le grossissement de ses fruits sont médiocres. Un volume trop faible occupé par les racines par rapport au volume des parties aériennes explique souvent ces dysfonctionnements.
La présence de nappes d’eau permanentes limitera la descente des racines et créera un risque élevé d’asphyxie racinaire.
• Matières organiques et vie biologique
La matière organique joue un rôle important dans le stockage du carbone dans le sol et dans la formation de l’humus « lié » qui augmentera la rétention en eau en particulier dans les sols sableux.
La présence des vers de terre (notamment de type anéciques) favorise la pénétration et le drainage de l’eau grâce à leurs galeries, et par leurs déjections apporte des nutriments assimilables directement par les poils absorbants.
La quantification des endomycorhizes sur les racines par un laboratoire pourra être réalisée dans certaines parcelles. Ces champignons microscopiques sont utiles pour améliorer l’absorption de l’eau dans des sols séchants et favoriser l’assimilation d’éléments minéraux tels que le phosphore.
Quels tests réaliser ?
Pour connaître les caractéristiques de son sol, outre le prélèvement de terre et l’analyse en laboratoire, diverses solutions existent.
Tests sur le terrain
- Test bêche, qui se réalise rapidement sans gros moyen (une bêche, un mètre et un couteau) dans plusieurs zones de la parcelle. Il permet d’apprécier la texture et la présence des racines, de qualifier la structure du sol et d’observer les activités faunistiques.
- Test tarière : prélèvement de terre à la tarière Edelman. Permet de connaître la profondeur explorable du sol en l’absence de coupe de sol.
- Test de compaction du sol à l’aide d’un pénétromètre pour diagnostiquer d’éventuelles zones de résistance sur le rang de plantation et sur l’interrang qui pourraient limiter l’exploration des racines.
- Test d’infiltration de l’eau dans le sol.
- Test d’activité biologique du sol, exemple vitesse de dégradation sur une saison d’un sachet de thé, de paille ou de « slip », enfouis dans le sol.
• Profil de sol
L’idéal en arboriculture est de faire un profil avec une pelle mécanique. La profondeur devra être suffisante pour observer les différents horizons. Une fosse d’environ 100-150 cm est conseillée. La présence de roches ou d’eau peut limiter cette profondeur de creusement.
Il est conseillé de faire un profil partant du rang de plantation et allant jusqu’au milieu de l’interrang (enherbé ou travaillé), ce qui permettra d’observer jusqu’à quelle distance les racines explorent horizontalement et latéralement le sol. En goutte à goutte, le profil démarrera proche d’un goutteur pour observer le chevelu racinaire présent dans le bulbe.
Les outils de pilotage des irrigations
Le bilan hydrique donne des informations de base pour l’irrigation, mais ne tient pas compte des hétérogénéités de sol ni du comportement des variétés (précocité, vigueur, etc.). Nous proposons plutôt de suivre ce qui se passe au cœur de la parcelle, avec les outils suivants.
• Tarière
Les prélèvements de terre avec une tarière Edelman® donnent une première indication de l’humidité du sol à différentes profondeurs, mais ils sont plus difficiles à réaliser en présence de cailloux. En sol caillouteux où l’utilisation de la tarière est plus compliquée, on peut utiliser une pioche.
• Capteurs dans le sol
Des capteurs permettent indirectement de connaître la teneur en eau du sol ; c’est le cas des sondes capacitives. Avec ces capteurs il est pru- dent de réaliser un profil de sol pour connaître la texture des différents horizons : la capacité au champ (volume d’eau maximum que le sol peut retenir) pourra être très différente entre un horizon argileux et sableux. Dans le cadre d’un suivi dans un verger de pommiers, elle était de l’ordre 25-30 % dans l’horizon argileux et de seulement 15-20 % dans l’horizon sableux. Sans cette connaissance, des erreurs de pilotage risquent d’avoir lieu.
Les tensiomètres n’ont pas cet inconvénient, ils mesurent en centibars la force de liaison de l’eau dans le sol et sa disponibilité pour les racines. De 0 à 10 cbars, le sol est en excès d’eau. De 10 à 30 cbars, le sol est humide et ressuyé, l’eau est très disponible. De 30 à 120 cbars, le sol se dessèche progressivement. De 120 à 200 cbars, les réserves en eau sont à un niveau critique.
Le pilotage de l’irrigation se fera également sur l’évolution des tensions. La demande hydrique sera jugée faible si cette progression est inférieure à 5 cbars/jour et forte si cette augmentation dépasse 10 cbars/jour.
Que ce soit avec des sondes capacitives ou des tensiomètres, il est nécessaire d’installer plusieurs capteurs dans une même parcelle pour tenir compte de l’hétérogénéité de l’arrosage, du sol et de la plante. On suit classiquement en arboriculture deux profondeurs de sol : la zone racinaire principale le plus souvent à 25 cm et une zone plus profonde à 50 cm.
• Capteurs installés sur la plante
En arboriculture, c’est la micro-morphométrie (dendrométrie) qui a fait ses preuves.
Plusieurs chercheurs ont montré sur de nombreuses espèces (arbres fruitiers, vigne, tomates, aubergine, maïs, tournesol…), que le diamètre de la tige ou de la branche diminuait à partir du lever du jour et jusqu’au milieu de l’après-midi, puis augmentait de nouveau en fin de journée et durant la nuit. Ceci s’explique par la capacité pour la plante de stocker de l’eau et de l’utiliser à certains moments de la journée.
Le capteur permet de suivre au jour le jour (voire heure par heure) le fonctionnement de l’arbre, et de mieux prendre en compte les conditions climatiques telles que température, hygrométrie, rayonnement et vitesse du vent.
Un stress hydrique est détecté si le diamètre décroit plus de deux jours de suite et si l’amplitude de contraction (du lever du jour au milieu de l’après-midi) est importante.
Ces données micro-morpho- métriques, en complément des mesures des sondes dans le sol permettent un pilotage très fin de l’irrigation au plus près des besoins de la plante.
• Suivi du grossissement des fruits
En arboriculture, la méthode utilisée est la mesure chaque semaine du calibre de 10 à 20 fruits par parcelle, répartis sur des faces opposées, avec un marquage des fruits suivis. On peut ainsi vérifier si on démarre la saison avec une avance ou un retard de calibre, qu’il faudra essayer de rattraper.
Des mesures plus sophistiquées existent en micro- morphométrie, avec des capteurs permettant de suivre l’évolution du calibre d’un fruit heure après heure. En automatisant la mesure, on a plus de détail sur les journées favorables au grossissement du fruit, et celles qui sont au contraire défavorables. Ces données sont à relier avec celles des mesures hebdomadaires manuelles.
Les outils de pilotage de la fertilisation
Il est conseillé de faire des analyses de terre avant plantation, pour connaître les caractéristiques du sol (notamment le taux de carbone et d’azote ou encore l’équilibre du rapport C/N). Pendant la saison, il est recommandé de réaliser des analyses de la solution du sol (ou analyse extrait à l’eau) plusieurs fois sur une même parcelle. Elles permettent de mesurer la teneur en azote nitrique et d’autres éléments minéraux, ainsi que la conductivité.
Enfin, l’analyse de feuilles va permettre de vérifier l’assimilation des éléments minéraux par le végétal. Elles sont complémentaires aux mesures de la solution du sol.
Il est fréquent de réaliser des analyses minérales des fruits proches de la récolte et des rameaux en période de repos hivernal. Ces données vont permettre d’adapter, si nécessaire, la fertilisation en cours de saison.
En conclusion
La connaissance de son sol, des tests agronomiques sur le terrain, des capteurs installés dans le sol et sur l’arbre, les mesures du grossissement des fruits, permettent un pilotage précis de l’irrigation en évitant excès et manques d’eau.
Les analyses de terre, de la solution du sol, des feuilles, des fruits et des rameaux permettent une fertilisation qui répond au plus près aux besoins nutritifs des plantes. Ces différents outils ont le double avantage d’obtenir un bon niveau de production, tout en améliorant la qualité et la conservation des fruits, mais aussi d’adapter son irrigation et sa fertilisation au changement climatique.
Karim Riman est agroécologue, spécialiste des sols, conseiller technique, il a écrit des ouvrages sur l’agriculture biologique et gère un domaine en bio en vigne de cuve et raisin de table.
Patrice Guinet a été conseiller de Ceta en arboriculture, puis conseiller à la chambre d’agriculture de Vaucluse, avant de se spécialiser dans le pilotage de l’irrigation en créant la société Agroressources en 1993.
Nathalie Broussard, après avoir travaillé sur les outils d’aide à la décision pour la viticulture, puis à Terralia, a repris la direction d’Agroressources en 2017